[Article initialement publié sur l’ancien blog en janvier 2012]
Avant tout autre considération, permettez-moi de vous souhaiter une belle année à venir. Nous voilà donc en 2012, dont le début a été marqué par la rencontre de deux marronniers médiatiques. Le premier, heureusement, ne revient qu’une fois l’an. C’est la nuit de la Saint-Sylvestre, les douze coups de minuit où tout le monde beugle pour compenser le sens que l’on refuse aux mots. Le second, lui, est accommodé à toutes les sauces et nous est servi à une fréquence conduisant parfois à l’écœurement. Qu’on se le dise, le réchauffement climatique lui aussi a réveillonné. Les années passées, la nuit du 31 était chaude, et on mesurait cela au nombre de voitures brûlées. Cette fois-ci, elle ne fut que douce, mais il s’agit des terribles degrés Celsius, dont raffolent tant les médias. Rappelons pour la forme que lesdits médias prétendent avoir comme raison d’être une impérieuse volonté d’informer leur public.
Ainsi, donc, a-t-on appris que la nuit du Nouvel An fut à Paris la plus chaude depuis… 1883 ! Évidemment, il faudrait comprendre, c’est implicite, que la température atteinte est d’autant plus extraordinaire que le record ainsi battu était ancien. En vérité, dans le contexte d’un réchauffement climatique tout à la fois anthropique, catastrophique, sans précédent, et plus rapide que jamais, il est cocasse de souligner qu’il aura fallu attendre presque 120 ans pour retrouver une telle valeur. Ce que l’on semble ne pas avoir compris dans les rédactions des journaux télévisés et papier, c’est que ce record aurait eu autrement plus de signification quant à l’évolution climatique s’il n’avait été enregistré que 365 jours plus tôt !
Par ailleurs, pour que le fait relaté deviennent une véritable information, il faut l’accompagner d’explications et donc avoir soi-même compris un peu de quoi il est question, ce qui n’est pas le cas, on l’a vu. Comme souvent, c’est une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) qui a été reprise par les journaux, portant la parole de Météo France en la personne de madame Dominique Raspaud, ingénieur des travaux de la météorologie, chargée de la communication avec les médias. Elle y annonce l’exceptionnelle douceur de la nuit du Nouvel An et le fameux record battu (que tout le monde ignorait jusque là), mais aussi que la maximale du lendemain, elle, bien que très nettement au-dessus de la moyenne avec 14,3 °C à 16h00, n’a pas atteint les 15,6 °C du 1er janvier 1883. La différence n’est pas mince. Ce que se sont bien gardés d’expliquer les « spécialistes » qui ont pris la parole dans les journaux télévisés, par exemple, se contentant d’évoquer le couvert nuageux qui retient la chaleur, le flux d’ouest et bien sûr le contexte de réchauffement, c’est le rôle qu’a pu jouer le phénomène d’îlot de chaleur urbain, sensible surtout la nuit. Un phénomène d’autant plus marqué que la ville est étendue et dense. Voici un aperçu schématique de l’évolution des températures le long d’un transect traversant Paris et ses banlieues lors d’une nuit de canicule (un contexte de différenciation spatiale plus marquée que la nuit qui nous intéresse, qui fut un peu ventée) :
Dans certaines circonstances favorables, la différence entre Paris et la grande banlieue peut dépasser 10 °C, ce qui est considérable.
Puisque l’influence du tissu urbain est d’autant plus grande que la ville est vaste et dense, il n’est pas inutile de prendre conscience des changements intervenus depuis 120 ans. L’excellent site de l’Institut Géographique National (IGN), Géoportail, permet de comparer les cartes actuelles à celles dites d’État Major, de la deuxième moitié du XIXe siècle. La différence est saisissante (cliquez sur les cartes pour les agrandir) :
On comprend aisément, à la vue de ces cartes, que les effets de l’urbanisation sur l’enregistrement des températures ne sont en rien comparables entre ces deux dates. Il serait donc intéressant de connaître les températures minimales relevées lors de la dernière nuit de la Saint-Sylvestre là où l’effet d’îlot de chaleur urbain était moins sensible, autrement dit plus en périphérie de l’agglomération urbaine. Sans guère de doute, si la station prise en compte avait été rurale et l’était restée, le record tiendrait encore…
Le journal télévisé de 20h00, sur France 2, pour aider son auditoire à bien comprendre la singularité des temps actuels et enfoncer un peu plus le clou sur le réchauffement anthropique, n’a pas manqué de montrer des images marquantes du sud de la France, où là encore des records auraient été battus. Sans préciser hélas s’il s’agissait du genre de record médiatique consistant en une simple exagération du type « du jamais vu depuis 5, 10 ou 15 ans ». On aurait ainsi frôlé les 20 °C à Nîmes. Et de comparer cela avec l’hiver 1954, alors que le port de Dunkerque était pris par les glaces, ou encore avec le début janvier 1985, quand Cannes était sous la neige.
Un exercice de style du même acabit aurait pu être fait l’an dernier, pour prédire une orientation climatique opposée. On aurait alors rappelé que les 18, 19 et 20 décembre 1932, il a fait plus de 25 °C sur la côte basque, où l’on s’est même baigné. Ou encore que des températures estivales ont été enregistrées la dernière semaine de décembre 1925, dans plusieurs régions de France : 20 °C à Bordeaux, 22 °C à Clermont-Ferrand, 25 °C à Toulouse, 27 °C à Perpignan. Et surtout, afin de bien faire comprendre que nous allons vers la catastrophe, ne pas manquer de souligner à quel point le mois de décembre 2010 fut en France le plus froid de ces quarante dernières années. Ce que chacun aura bien vite oublié. Alors souhaitons pour cette nouvelle année, plus d’intelligence et de mémoire, moins de parti pris et de sensationnalisme à deux sous, bref plus d’information chez les médias. Qu’au moins cette bonne résolution soit prise, quand bien même, comme bon nombre d’autres, elle ne serait pas tenue.