La Recherche, du temps perdu

[Article initialement publié sur l’ancien blog en juin 2012]

Une vision naïve de ce qu’est le journalisme scientifique voudrait que lorsqu’un des représentants de cette noble profession fait la recension critique d’un livre, il l’ait préalablement lu attentivement et connaisse suffisamment le sujet abordé pour en confronter les informations avec toutes celles qu’il a en tête ou dans ses dossiers, fruit de longues heures de travail. Voilà pour la théorie. Et maintenant, la pratique.

La Recherche est un mensuel français de très bonne réputation, encore aujourd’hui, ainsi présenté par Wikipédia : « Aux côtés de Pour la Science, elle est aujourd’hui un des magazines de référence pour l’information scientifique francophone (…). » L’actualité des sciences, sous-titre du magazine, c’est aussi des livres, qui ne sauraient être oubliés. En la matière, l’originalité de La Recherche, c’est de ne pas se contenter d’orienter son lectorat vers les meilleurs d’entre eux ; elle les prévient aussi de ceux qu’il faut éviter, des fois que le manque de jugeotte fasse prendre des vessies pour des lanternes. La rubrique Touche pas à ma science, petit encadré au sein des pages livres, est donc là pour tirer la sonnette d’alarme, prévenir que le créationnisme n’est pas scientifique ou encore que les frères Bogdanov ne sont pas le nouveau visage de la science contemporaine. Luc Allemand, rédacteur en chef, est aux commandes. Gare aux usurpateurs !

LaRecherche450

Compte tenu du peu de publicité dont a bénéficié Climat, mensonges et propagande dans les médias, La Recherche aurait bien pu ne jamais l’évoquer et ainsi ne pas faire part à ses lecteurs de son existence. Mais peu après la sortie du livre, dans son numéro 450, de février 2011, un article est intitulé S’adapter au changement climatique. Une bien belle occasion pour Luc Allemand de rappeler la vilenie des climato-sceptiques, capables de nier ce que tout le monde sait réel. Et l’opportunité pour chacun de constater la crédibilité journalistique de ce monsieur, que l’on peut toutefois remercier d’avoir produit en si peu de mots une telle démonstration de professionnalisme. La parole est à l’accusation.

Critique-CM-P

Bon, Luc Allemand annonce la couleur dès le début : « faux sceptique ». Un calembour qui montre comme le journaliste sait avoir l’intelligence décontractée. Passons et reprenons point par point.

  • « L’auteur n’est en effet pas neutre dans les controverses autour de l’évolution du climat : il adhère aux thèses des opposants à l’idée d’un réchauffement climatique provoqué par l’homme. »

Luc Allemand a l’esprit drôlement tourné. La neutralité, c’est être d’accord avec lui. Qui adhère est neutre, qui n’adhère pas ne l’est pas. Aucun crédit ne peut donc être accordé à celui qui, ayant examiné avec au moins autant d’attention que le journaliste la question de l’évolution récente du climat, s’inscrit en faux contre la thèse dominante. Toute évolution de la pensée est d’avance rendue impossible, puisque la majorité détient d’autorité la vérité et que ceux qui la critiquent sont des brigands.

  • « Les héros du livre sont les scientifiques, spécialistes ou non du climat, qui bravent le « consensus officiel et médiatique » à propos du réchauffement. »

Pour m’être un peu relu, j’ai du mal à considérer qu’il y ait des héros dans ce livre. Peut-être Luc Allemand a-t-il l’âme d’un écrivain et se laisse-t-il emporter par son lyrisme acerbe ?

  • « Quant aux autres climatologues, surtout ceux qui participent aux travaux du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, ils sont incompétents ou manipulateurs, éventuellement les deux. »

À chaque fois que sont mis en évidence des manquements à l’éthique, des manipulations réelles et documentées et des intentions affichées, bien que n’étant pas destinées à être connues, il est systématiquement question d’une minorité agissante. L’amalgame est utilisé par d’autres, sceptiques ou pas. Il faudra par ailleurs dire à monsieur Allemand que la signification officielle du Giec, c’est Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

  • « Les données qu’ils utilisent ne sont pas fiables ; ils les corrigent  pour les faires correspondre à leurs idées préconçues ; et ils auraient remplacé la théorie et l’observation par la simulation et les programmes. »

Il aura sans doute échappé à monsieur Allemand que le terme données, en sciences, est assez mal choisi et peut apporter quelque confusion dans un esprit mal (in)formé. Rien n’est donné, tout est construit, disait Bachelard. Intervenir sur des données numériques peut être justifié. Que cela soit fait toujours dans le sens d’une accentuation du réchauffement est pour le moins étrange. Comment justifier, par exemple, que la prise en compte de l’îlot de chaleur urbain conduise à accentuer les valeurs les plus récentes et éventuellement à baisser les plus anciennes ? Si Luc Allemand ne sait pas que les scientifiques interviennent sur les données, parfois jusqu’à modifier radicalement l’histoire qu’elles livrent, voici pour lui l’exemple de la station de Reykjavik, en Islande. Les données d’origine sont en haut à gauche. Qu’il fasse son marché et choisisse l’évolution des températures qui correspondra le mieux à son propos du moment (il pourra dire ensuite merci à James Hansen, du GISS, d’où proviennent ces courbes) :

Reykjavik-temperature

Par ailleurs, en bon statisticien, Luc Allemand semble se satisfaire du type d’Analyse en Composante Principale utilisé par Michael Mann et Cie, qui ne peut donner qu’une crosse de hockey comme illustration de l’évolution de la température moyenne de l’hémisphère nord depuis un millier d’années. On est en droit, toutefois, de souligner le biais de la procédure, son manque flagrant d’intérêt pour une analyse impartiale, bref qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’une entourloupe éhontée. Il est d’autres exemples.

De plus, Climat, mensonges et propagande accuserait « les climatologues » d’avoir délaissé la théorie et l’observation au profit de la simulation et des modèles. Que la simulation et les modèles aient le vent en poupe, chacun en conviendra. Ce sont quand même eux qui nous annoncent un réchauffement catastrophique d’ici quelques décennies. Que cela soit au détriment de la théorie, certainement pas. C’est bien parce qu’il existe une théorie de l’effet de serre reposant sur certains gaz présents dans l’atmosphère et dont l’Homme est capable d’augmenter les concentrations que ces modèles prévoient un réchauffement sans précédent. Cette théorie est discutée, réfutée par certains. Notamment parce que ce qu’elle prévoit est en discordance avec des observations que l’on remise volontiers au placard lorsqu’elles dérangent. On peut d’ailleurs prendre le terme observation au sens le plus élargi, en ayant aussi à l’esprit ce que l’on sait du passé, plus ou moins lointain, que cela repose sur d’anciens témoignages ou mesures, ou encore sur des reconstructions des paléoenvironnements.

  • « En résumé, pour Hacène Arezki, l’atmosphère ne se réchauffe pas (1), les événements météorologiques extrêmes n’augmenteront pas (2), l’océan ne s’acidifie pas (3), l’homme ne peut pas avoir d’action sur le climat (4). Bref, il ne se passe rien (5). À ce point, ce n’est pas du scepticisme, c’est du négativisme! »

Nous y voilà ! Pour Luc Allemand, les climato-sceptiques sont un groupe homogène, dont les représentants sont peu ou prou interchangeables, qui nient en bloc tout ce que les sciences du climat auraient à dire sur l’évolution récente de celui-ci, dans un consensus bien connu. Le livre émanant d’un vilain climato-sceptique, il ne peut donc avoir qu’un contenu devant correspondre à l’image caricaturale que le rédacteur en chef de La Recherche s’en fait et/ou veut donner à ses lecteurs. De deux choses, l’une, voire les deux. Ou bien Luc Allemand n’a tout simplement pas lu le livre et il écrit en fonction de ce qu’il croit savoir de son contenu. Ou bien, il l’a bel et bien lu et son but est simplement de le discréditer afin d’en minimiser l’influence potentielle. Les deux solutions (on peut aussi imaginer des intermédiaires) ne sont pas exclusives l’une de l’autre, l’incompétence pouvant toujours côtoyer la malhonnêteté. Le fait est qu’il est difficile d’aligner autant d’affirmations erronées.

(1) Il n’a jamais été question de nier l’existence, depuis un à deux siècles, comme depuis les années 1970, d’un réchauffement réel. Ce qui fait débat, c’est la mesure de son intensité, son caractère prétendument sans précédent et l’attribution des causes, le carbocentrisme affirmant que les activités humaines en sont la cause principale, et de loin.

(2) Il est un fait indéniable, démontré par un nombre grandissant d’études paléoclimatologiques : les périodes ayant connu des aléas météorologiques plus nombreux et plus intenses sont synonyme de refroidissement. Le réchauffement récent n’est donc pas corrélé positivement aux phénomènes extrêmes, que Luc Allemand croit être de plus en plus nombreux depuis quelques décennies. Que le livre affirme qu’ils ne le seront pas dans les prochaines décennies, c’est encore autre chose. Car au contraire, il est question d’un possible refroidissement à venir, qu’il convient d’envisager avec prudence, bien qu’affirmé par un nombre grandissant de scientifiques. Chacun aura remarqué qu’ils ne passent pas sur les chaînes de télévision françaises et n’ont pas l’oreille d’un rédacteur en chef d’une prestigieuse revue de vulgarisation scientifique.

(3) L’acidification de l’océan. C’est un fait, ajouter du CO2 dans de l’eau fait baisser son pH, qui se dirige donc vers les valeurs de l’acidité. Cela ne signifie pas, si l’on parle correctement français, que l’océan devient acide, que son pH passera d’ici peu sous la valeur de la neutralité. Personne ne l’envisage sérieusement pour les océans. Surtout, il ne s’agit pas ici d’une expérience de laboratoire, mais du monde réel, légèrement plus complexe. Les interactions avec le monde vivant peuvent ralentir cette dynamique, qu’il convient d’étudier de près. Le difficile suivi du pH de l’eau de mer doit être fait avec sérieux. À la place de quoi on affirme trop souvent que la science est capable de déterminer le pH moyen, actuel, de l’océan global à deux décimales près, mais aussi d’en suivre l’évolution avec le même degré de précision sur deux siècles et demi.

(4) Climat, mensonges et propagande s’arrête de nombreuses pages sur la question de l’îlot de chaleur urbain, qui induit des biais dans le suivi de l’évolution de la température de stations peu à peu sous l’influence thermique totale ou partielle de la ville. N’est-ce pas une modification climatique imputable à l’être humain ? Il y a confusion d’échelle, visiblement. Que des activités humaines puissent avoir un impact du microclimat au climat régional, c’est un fait. Que cela modifie la répartition des climats, la dynamique de ceux-ci, c’est encore autre chose. Mais il est vrai que chez les chercheurs que l’on médiatise, chimistes ou physiciens, on étudie le climat de la Terre. Seule l’échelle globale compte, celle qu’il est le plus difficile de légitimer.

(5) « Bref, il ne se passe rien! » Il ne peut que se passer quelque chose, car, c’est écrit dès la page 10, et réaffirmé à la page 69, le climat « évolue à toutes les échelles de temps et d’espace ».

Lire le livre, lui trouver des faiblesses, être en désaccord argumenté avec ce qu’il expose et la manière qu’il a de le faire, c’est recevable. Faire preuve d’une telle mauvaise foi, c’est indigne. Mais assez peu surprenant de la part d’un magazine qui, lui, « n’est pas neutre dans les controverses autour de l’évolution du climat ». Dans son numéro 425, le dossier de La Recherche était consacré aux liens entre le Soleil et le climat.

LeRecherche425

Intitulé Soleil et climat : la polémique, on pouvait s’attendre à une confrontation entre points de vue. Au lieu de quoi, les arguments en faveur d’un lien direct entre activité solaire et évolution du climat n’ont pratiquement pas eu droit de cité. Un mensonge par omission qui fait toute la différence, surtout avant de donner la parole à Naomi Oreskes, historienne des sciences qui prétendait, dans un article publié et jamais corrigé, que l’on ne trouvait dans la littérature scientifique aucun article ne s’inscrivant pas dans le consensus d’un réchauffement anthropique. Preuve a été faite du peu de sérieux de cette étude, mais il est toujours brandi comme une preuve que les climatosceptiques s’opposent aux scientifiques et notamment aux climatologues, comme si les premiers ne se trouvaient jamais dans les rangs des seconds.

L’information sur le climat que livre à ses lecteurs le mensuel La Recherche est à l’image de celle que l’on trouve dans toute la presse française et plus largement francophone sur le sujet : biaisée, tronquée, orientée, manipulée. Y chercher le temps qu’il fera, c’est gâcher celui qui passe.

 

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